Le projet de loi Duranceau ravive les craintes de corruption dans le domaine de la construction. Ce projet de loi 31 en habitation, déposé par la ministre de l’Habitation du Québec, France-Élaine Duranceau, soulève des inquiétudes quant à sa propension à favoriser la corruption et la collusion dans le domaine de la construction. L’amendement 37.2, ajouté en novembre dernier, permet aux municipalités de plus de 10 000 habitants, avec un taux d’inoccupation inférieur à 3%, de déroger à leurs règlements d’urbanisme pour accélérer l’autorisation de projets de construction résidentielle de trois logements ou plus. Cette permission spéciale s’appliquerait pour une période de cinq ans.
Des experts, dont la professeure de droit Martine Valois et le professeur en science politique Denis Saint-Martin de l’Université de Montréal, redoutent que cette dérogation crée un « pouvoir discrétionnaire » excessif pour les élus, ouvrant la voie à des pratiques similaires à celles examinées par la Commission Charbonneau.
Les urbanistes et les architectes du Québec sont sérieusement préoccupés
L’Ordre des urbanistes du Québec et l’Ordre des architectes du Québec ont récemment exprimé leurs préoccupations quant aux risques de favoritisme et à la politisation excessive des approbations dans une lettre adressée à la ministre Duranceau et à d’autres responsables gouvernementaux. Le président de l’Ordre des urbanistes, Sylvain Gariépy, met en garde contre un possible « Far West » dans le processus d’approbation des projets de construction, soulignant de sérieux problèmes éthiques. Les élus auraient, selon lui, le loisir de favoriser certains constructeurs au détriment d’autres sans justification claire.
De plus, l’amendement 37.2 entre en contradiction avec la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT) de la ministre Laforest, dénoncent l’Ordre des urbanistes du Québec et l’Ordre des architectes du Québec. La PNAAT, dévoilée en juin 2022 après de nombreuses années de travail et une consultation nationale, vise une planification urbaine plus cohérente, limitant notamment l’étalement urbain. Cette opposition soulève des interrogations. « On se dote d’une politique et la première chose que l’on fait, on permet de contourner tous les outils d’urbanisme et d’aménagement du territoire », mentionne M. Gariépy.
Les experts proposent des solutions plus nuancées
Bien que la ministre Duranceau justifie cet amendement comme une mesure pour stimuler la construction dans le contexte de la crise du logement, certains experts remettent en question la transparence de cette approche. Le professeur en science politique de l’UdeM, Denis Saint-Martin, appelle à une compensation par davantage de transparence, suggérant que l’Autorité des marchés publics (AMP) pourrait tenir un registre des municipalités bénéficiant de cette dérogation.
La professeure de droit, Martine Valois, propose la possibilité pour le gouvernement de déposer une loi sur l’allègement réglementaire en matière de construction, avec des contre-pouvoirs et une structure assurant une prise de décision plus transparente pour contrer la corruption.
L’Ordre des urbanistes du Québec et l’Ordre des architectes du Québec recommandent des mesures telles qu’une stratégie globale sur le logement et un signal clair du gouvernement en matière de « densification douce ». Ils saluent l’ouverture du projet de loi 31 aux « unités d’habitation accessoires »(UHA) et proposent des ajustements au Code de construction.
L’étude du projet de loi 31 en commission parlementaire s’est conclue cette semaine, et son adoption pourrait intervenir dès la semaine prochaine, laissant certains experts et ordres professionnels préoccupés par les potentielles conséquences éthiques et le spectre de la corruption qui pourraient découler de ce changement législatif.